Linguistique – L’alpin ou gavot, dialecte peu connu

L’alpin ou gavot, dialecte peu connu

par Laurenç REVEST (chercheur en Linguistique à l’Université de Nice)

Le Gavot, autrement appelé Alpin ou ailleurs Dauphinois, Nosto modo, Viton est l’un des 7 dialectes de la langue d’Oc, les autres étant : l’Auvergnat-Vellave, Gascon-Béarnais, Languedocien-Guyennais, Limousin-Périgourdin, Provençal et Nissart. C’est le plus mal connu, trop souvent confondu ou assimilé au provençal ou vers l’est de notre région, confondu avec le niçois. Il est entouré au nord par le Francoprovençal (savoyard), et à l’est par le Piémontais et le Ligurien (royasque inclus).

Ci-dessous, voici la carte de l’espace dialectal gavot (délimité par les pointillés) dans les régions Provence Alpes Côte d’Azur, Rhône Alpes et, partiellement en Piémont (Italie) et Auvergne.

Aire du parler vivaro-alpin

Dans les Alpes-maritimes, le gavot suit la courbure des montagnes Alpines et descend jusqu’à la mer entre Eze et Menton. Tous les parlers alpins situés dans cet espace (en grisé dans la première carte) sont gavots, alors qu’on pourrait penser que le gavot ne se parle qu’à la montagne, dans le cadre des vallées de montagne. Ce serait oublier que les Alpes-Maritimes sont un département dont les altitudes s’échelonnent -en moins de 50 Kms à vol d’oiseau- du niveau de la mer à plus de 3 000 mètres. Par exemple au niveau de Peille, les montagnes des Alpes se jettent brusquement dans la mer avec des sommets proches de la mer comme le Mont Agel d’une altitude de 1 109 mètres point culminant du bassin versant monégasque. De plus ce côté du bord de mer étant très abrupt et encaissé, traditionnellement le seul lien possible s’est fait par les Alpes. Aussi bien géographiquement que linguistiquement, cette zone est alpine jusqu’à la mer. Le département porte bien son nom.

Le CCÒC enseigne le Gavòt coarasier dans la commune de Coaraze, quelques remarques :

  • l’alpin-gavot est caractérisé par la bonne maintenance de la langue (beaucoup d’alpins parlent encore)
  • il est proche de la langue d’Oc originelle du 16ème siècle car les alpins ont bien maintenu leur identité
  • il comprend une variété et une richesse de parlers car il est moins uniformisé
  • il permet une plus grande facilité de compréhension avec les autres dialectes d’Oc (languedocien, auvergnat par exemple)

Aire d’extension et caractéristiques linguistiques

par Laurenç REVEST (chercheur en Linguistique à l’Université de Nice)

Dialectologie dans l’espace. Axes de recherche:

• La partie alpine du dialecte vivaro-alpin est considérée par la doxa comme la plus archaïque de tout l’espace occitan.
• Elle regroupe les parlers de l’ensemble géographique des Alpes du Sud : Alpes-Maritimes, Alpes-de-Haute-Provence et Hautes-Alpes (les vallées occitanes du Piémont en Italie ont été traitées principalement par BRONZAT Franc, 1999. Problemi di Interazione Linguistica nell’area tra Saluzzo e Pinerolo. Univ. degli studi di Torino).
• Convergences phonologiques, morphologiques et lexicales :
– avec tous les dialectes occitans
– internes : ne se trouvant pas du tout (ou très rarement) dans un autre dialecte d’oc

L’espace occitan

Traits spécifiques de l’Alpin maritime
Traits du gavot du Comté de Nice et de l’ancienne principauté de Monaco (Roquebrune et Menton)

Travail réalisé à partir des enquêtes de Laurenç REVEST (1999-2008) dans toutes les communes des Alpes-Maritimes (164 communes soit un panel de plus de 200 locuteurs enregistrés)

1. Sons propres à l’alpin

Le premier mot est écrit en orthographe occitane commune (utilisée de Menton à Bordeaux et de Montluçon à Narbonne), le mot entre parenthèse est celui écrit selon la prononciation du français (celle souvent utilisée par Lou Sourgentin par exemple) avec l’accent portant sur la partie soulignée du mot. En gavot toutes les lettres se prononcent.

  • Perte de –T- et –D- intervocaliques des mots latins, ex. :

PASSATA > « passàia » (passaya) à l’est et à l’extrême nord ou « passaa » (passaw) à l’ouest, passée (en niçois et provençal c’est « passada » (passada et passado)),

BASTITA > “bastia” (bastiya) ou “bastiá” (bastyo) bâtie,

MATURU > “mavur, maür” (mavur, mahu) à l’est et centre ou “mèir, mòir” à l’ouest (mèy(r), moyr) mûr (en niçois et provençal c’est « madur »),

VITELLU > « veel » (veel) veau (niçois et provençal vedèu),

CIBATA > « civàia » ou « civaa » (civaya) à l’est et à l’extrême nord ou (civaw) à l’ouest avoine (niçois et provençal « civada ») ;

CRUDA > « crua » (crua) crue (niçois et provençal « cruda » (cruda et crudo)),

SUDOR > « suor » (suou) sueur (niçois et provençal « sudor » (sudou(r)),

PESC-ATORIU « lo pescaor » (lou peskahou) pêcheur professionnel.

Nota :
Le gavot des Alpes-Maritimes « l’Alpin maritime » a tous les traits propres au dialecte alpin. Très souvent il présente des traits alpins bien mieux conservés que le reste de l’espace gavot (Alpes-de-Haute-Provence, Drôme…) qui les ont perdus. C’est ce que nous allons voir ci-dessous dans les traits spécifiques suivants. En revanche, une partie nord du département connaît le passage de C+A et G+A du latin deviennent CHA (tcha) et JA (dja), mais ce ne sont pas des traits spécifiquement alpins car ils se retrouvent ailleurs en Occitan : en Auvergnat ou Limousin.
Ex. : « lo chan » (lou tcha) le chien, « lo chat » (lou tchat) le chat, « la charrièra » (lo tcharyèro), « lo jarbeiron » (lou djarbeyroù), « la jalina » (lo djalino), « la bujaa » (lo budjaw) lessive, et en liaison avec ceci, -SCA- devient scha, ex. : « los eischalièrs » (louz eyshalyès) les escaliers, « los eischaudats » (louz eyshowdàs) les échaudés, « l’eischina » (eyshino) le dos.

  • L final reste l (ou devient parfois r), ex. : « aquel » (akel) celui, « martel » marteau, « cotel » (coutel) couteau, « el » lui, « gal » (gal) coq, « lo savel » (lou savel) le grès. En revanche à Entraunes jusqu’à Annot et dans la commune de Menton on trouve ensemble deux formes, ex. : le marteau « lo martel » avec –l (lou martel), ou l muet « lo martè » (lou martè).
  • L- interne devient r, « l’arba » (l’arba) l’aube, « calcar » (carcar) fouler, « calfar » (calfar) chauffer, « qualqu’un » (carcu) quelqu’un et aussi le sens de chose (en parlant d’une chose).

Nota :
Toutes les consonnes finales se prononcent (contrairement au niçois et surtout au provençal), et cela s’étend à quasiment toutes les situations, exemples :

  • M final se prononce à l’est et au centre “fam” (fam) et se nasalise à l’ouest “fam” (fan)
  • N final a tendance à s’effacer comme dans l’ensemble des parlers gavot (parfois des hésitations) sauf à l’est, ex. : « la maijon » (lo maydjou) la maison, « lo molin » (lou moulì) le moulin, « lo matin » (lou matì) le matin, « lo vesin » (lou vezì) le voisin, lo camin (lou camì) le chemin.
  • IER final se prononcer tel que “castanhier” (castagnier) ou devient (-o) (castagnio) châtaignier sauf au sud ouest où il se prononce comme en provençal. Le r s’efface au pluriel devant le -S, “oliviers” (oulivies) ou (oulivios) oliviers.
  • -RN, -RM finaux se maintiennent partout, “jorn” (djourn) jour, “forn” (fourn) four, “verm” (verm) ver à Castillon ils deviennent “jonl” (djounl), “fonl” (founl) sauf dans une infime partie de l’ouest où ils deviennent “jort” (djourt), “fort” (fourt), “verp” (verp) ver au nord et “jorn” (djou), “forn” (four), “verm” (ver) ver au sud.
  • -SC, -SCS “buòsc” (bwosc) un bois, et au pluriel “buòscs” (bwosks) des bois
  • -SS- devient très souvent sh, ex. : « laisha » (laysha) laisse, « faishina » (fayshina) fagot, « meishonar » (meyshounar) moissonner.

Autres points :

  • A final reste -a à l’est de l’espace alpin maritime : vallée de la Bévéra, pays mentonnais, pays d’Agel, vallées des Paillons jusqu’à La Pointe de Contes, pays levensan. La finale -IA se prononce (iya), ex. : “fasia bel” (faziya bel) il faisait beau.
    A final devient (o) à l’ouest : vallée de la Vésubie, vallée de la Tinée et du Chans, vallée du Var (Nota : plus rarement, a peut aussi devenir (o) en début de mots, ex. : « arguelh » (argwely et orgwely) orgelet ou au milieu de mots courts « la » (lo) c’est-à-dire l’article défini féminin la, comme à Bairols, Ilonse ou Roure). En conséquence dans l’ouest, il y a un déplacement d’accent et la finale -IA devient -IÁ se prononçant (ya), (yo) ou (yé), ex. : “faiá bel” (fayo bel) il faisait beau.
  • La finale du latin -TIONEM donne -cion, ex. : « atencion » ou « atencìon » (atensyou ou atensiw) ou « atencian » à Menton, attention (en niçois (atencioun) et provençal (atencien)).
  • Maintient de –S- intervocalique à l’est, perte de –S- intervocalique à l’ouest, ex. : « nose » (nousé) ou « noi » (nouy) noix, « causa » (cawza) ou « cauva » (cawva) chose, « camisa » (camiza) ou « camia » (camia) chemise.
  • Les verbes terminés en latin par -IDIARE deviennent -ear (ehar), -iar (-yar), ex. : NITIDIARE > netiar (netyar) nettoyer (en niçois et provençal c’est « netejar » (netedjar)).
Carte de l’alpin maritime (rouge: alpin maritime ; violet: niçois ; jaune: provençal maritime (dit oriental) ; blanc: monégasque et ligurien alpin (royasque)

2. Déclinaisons de mots

– La base de l’article défini se fait ainsi, forme originelle :
Nota : entre parenthèses sont écrites les variantes orales.

Singulier

  • masculin: lo (lou), l’ devant voyelle
  • féminin: la (la, lo), l’ devant voyelle

Pluriel

    • masculin: los (lous, louz)
  • féminin: las (las, los, laz)

Type du Val d’Entraunes, du centre et nord Tinée, du Val de Blore, de la vallée de la Vésubie et du nord des Paillons.

Attention : les formes niçoises peuvent remonter dans la vallée des Paillons et dans la Vésubie mais les familles originaires de la commune font la différence entre le gavot et le gavot niçardisé.

Les possessifs font de même, « mon » (moun) mon, « ma » (ma, mo) ma, « mos » (mous) mes, « mas » (mas, mos) mes, « tos » (tous) tes, « tas » (tas, tos) tes…

Pour les articles pluriels, les deux formes de bases son « los » (lous) et « las ». Mais, selon le début du mot qui suit, on remarque souvent des variations sous influence du nissart et du provençal : los (lous) peut devenir « loi » (louy), « lui » (luy) et « las » > « lai » (lay), « lei » (ley). On a d’autres réalisations possibles :

– Dans le sud est de l’alpin maritime : pays mentonnais, pays d’Agel, l’article devient :

Singulier

  • masculin: ro (rou, ou), l’ devant voyelle
  • féminin: ra (ra, a), l’ devant voyelle

Pluriel

  • masculin: rus/u (rus, ruz, ruj, ru, u), ris/i (ris, riz, i), res/e (rés, réz, é)
  • féminin: ras (ras, raz, ay), res (rés, réz, éy, é), ris/i (ris, riz, i)

Le type (r)es est celui de Sospel-Castillon et La Turbie
Le type (r)u est celui de Roquebrune-Menton
Le type (r)as-ai est celui de Peille-Gorbio

– Il existe une autre forme de l’article, basée sur IPSUM et non sur ILLUM (comme c’était les cas avant) :

Dans le centre de l’alpin maritime (de Coaraze à Roquestéron), l’article devient :

Singulier

  • masculin: so (sou), sel’ devant voyelle
  • féminin: sa (sa), sel’ devant voyelle

Pluriel

  • masculin: sos (sous, souz, souy), ses (sés, séz, séy), si (si, sis, siz)
  • féminin: sas (sas, saz, say), ses (sés, séz, séy), sis (sis, siz, si)

Cette forme d’article n’est pas spécifique à l’alpin, on la retrouve ailleurs en provençal oriental (de Grasse à Vence), en gascon de la vallée du Salat, etc.

– Dans l’ensemble de l’alpin maritime, la contraction des articles se fait ainsi, exemple : de + le > du en français

  • a + lo (lou) = al
  • a + la = a la
  • a + los (lous) = als (as, az)
  • a + las (las, los) = as (as, az)
    • da, de + lo (lou) = dal, del
    • da, de + la = da la, de la
    • da, de + los (lous) = dals (das,daz)
  • da, de + las (las, los) = das (das, daz)

Dans le centre de la vallée de la Tinée et les Chans (Ilonse, Bairols) on a les formes contractées -au singulier- “alh” (ay) à la place de “al” et “dalh” (day) à la place de “dal”, comme dans les parlers vivaroalpins du Velay. Les variations de forme de –s finaux sont les mêmes que pour les articles pluriels (tableaux ci-dessus).

– Prononciation des pluriels –S à la fin des mots :

La prononciation des pluriels est constante sauf dans les communes limitrophes avec la zone du niçois et provençal (elles ont leur parler perturbé par le niçois et le provençal)

Si le mot est déjà fini par un –s, redoublement quasi systématique pour marquer la différence du singulier, (cela n’existe pas en niçois ou provençal).
Ex. : « un país » (un pahis) un pays > « de païses » (de pahizes) des pays, « un òs » (os) un os > « d’òsses » (dwosses) des os.

3. Conjugaisons

Terminaison de la première personne du présent de l’indicatif en –o (ou) (en nissart et provençal c’est en –i).

Emploi fréquent du verbe « estaire » à la place de « estre », ex. : « chal qu’estagem dreches » (tcha qu’estadjen dreches) il faut que nous restions debout, « es estach » (ez estatch) il a été.

Le –R de l’infinitif se prononce quasiment partout -trait unique de l’alpin par rapport à tous les autres dialectes d’Oc- sauf dans l’alpin maritime du sud ouest au contact du provençal.

Formes typiquement gavote du verbe « poar » (pouar) tailler (en niçois ou provençal « podar » (poudà)), « sàuper » (sowper) savoir (d’autres formes gavotes donnent sauper, saber ; en niçois ou provençal saupre), « pilhar » (piyar) (en niçois (piyà)).

Dans le nord de l’Alpin maritime, -G- entre voyelles du latin devient (djé) comme à Ilonse, ex. : « chal que venge » (tchal que vendje) il faut qu’il vienne, « chal que sige aishì » (tchal que sidje eyshi) il faut qu’il soit ici. Dans le reste sud de l’espace, cela ne bouge pas.

La terminaison de la deuxième personne des conjugaisons des verbes en -ar (-à) se fait en –as (–os) comme en languedocien (c’est –es en niçois ou provençal). Exemple de manjar (mandjà) manger au présent de l’indicatif :

    • Manjo (mandjou)
    • Manjas (mandjos) ou Manjes (mandjes) deuxième personne
    • Manja (mandjo)
    • Manjam (mandjan)
    • Manjatz (mandjàs)
  • Manjan (màndjan) ou Manjon (màndjoun)

D’autres traits bien gardés pour l’indicatif imparfait :
« fasiái » (fazyoy, fazyéy) je faisais, dans la vallée des Paillons (« faïi » en niçois et « fa(s)iáu » en provençal)

4. Lexique, mots à la fois très bien maintenus (proche de la langue du 16ème siècle) et mots originaux propres à l’espace alpin.

L’enfant en bas âge se dit « la mainaa » (la meynaw), maintenant se dit “avura”, “aüra”, “àira”, “èira, “òira”, “eirà” ; “un viatge”, “una vòuta”, une fois ; e verbe falloir caler (calér), monter « puar », entendre « au(d)ir » (ow(d)ì). Quelques mots employés uniquement dans certaines régions, autour de Castillon “o cop” (ou coup) la tuile ; autour de Beuil : « morfija » (mourfijo) fourmi (dans les autres zones gavotes c’est plutôt « formija »), « darèn » (darè) rien, « solelhaire » (soulelyayre) balcon ; au nord d’une ligne Puget Théniers- Saint Sauveur- Val de Blore « eishubliar » pour oublier (eyshubyar), « chalaa » pour trace dans la neige.

En gavot on fait souvent la différence entre « maijon » (appartements de vie), « ostal » (grenier, grange), “alberg” (abri).

On utilise plutôt le terme de « caval » à l’est que « chival » pour le cheval et plutôt « can », « chan » que « chin » pour le chien, « pom » (poum) pomme. Dans l’ouest hésite entre « òrt » (ouòrt) jardin et « jardin » (djardì) jardin.

Le gavot entretient bien les mots de la langue, c’est le cas de « oc » pour dire oui encore utilisé en gavot de Val de Blore. Ailleurs on a aussi : « lains » pour dedans, « nevar » pour neiger, « ver » pour vrai.