Histoire – L’histoire de la Reine Jeanne

L’histoire de la Reine Jeanne

 

Le vieux Michelet aimait bien raconter la terrible histoire. Il était grand, le vieux Michelet, et bien qu’il fusse aussi vieux, il marchait droit.

La veillée de Noël était la plus grande et la plus curieuse veillée de l’an. Devant plein de gens, Michelet, comme si c’était un acteur qui, sûr de son savoir faire et de son apparence, préparait sa voix. Il abandonnait ce soir pour conter la terrible histoire, le récit, qu’il employait les autres fois. Déjà, la seule intonation de sa voix nous forçait au respect. E cloués de stupeur et d’émotion, nous étions tous unis pour l’écouter sans soupirer.

Il commençait avec une voix rauque, par des brames et de reproches:

“Écoutez avec respect ce que peut l’ire des hommes, mais écoutez avec plus de respect encore ce que peut l’ire de Dieu! Gardez en votre mémoire le souvenir de la grande malheureuse Reine Jeanne. Que l’exemple de sa vie serve à vous faire remarquer que la terre est de Dieu et que les hommes ne sont que les êtres de Dieu! Qu’il n’en serve en rien d’être roi, qu’il n’en serve en rien d’être mécréant!”

Il reprenait son souffle, sa voix se faisait plus douce et il commençait:

“En l’an 1343, la grande malheureuse Jeanne devient reine après son grand-père Robert. Peu d’années passèrent qu’elle dût s’échapper de son grand palais de Naples, son peuple de là-bas avait faim et les mauvais riches trahissaient la reine et son peuple.

Avec une petite escorte d’amis, Jeanne vient se cacher en Provence, malheureuse dans son comté. 

Mais ici aussi ses ennemis la suivirent sans pitié pour lui voler tous ses biens. À Nice, elle reste des mois puis vient se cacher dans nos montagnes, et s’en va vivre à Rocasparvière, bien défendue par la hauteur et ses roches. Mais la méchanceté de ses ennemis était longue. Ils utilisèrent le pouvoir de la monnaie, achetèrent le pauvre peuple.

Lo jour avant Noël, en l’an 1357, au temps où tous les pays chrétiens se préparaient avec joie à la venue du fils de Dieu, Rocasparvière se préparait à un fait ignoble.

La reine ne put pas faire dire la messe dans son château. Son prêtre était ivre, ses gens l’avaient fait boire. Avec sa pitié, elle vent à Coaraze pour la messe. Sur le chemin, plus d’une fois elle eut des visions. Arrivée à la petite colline, alors qu’elle voyaient les petits feux du village, et voulu y retourner. À ses oreilles elle entendait:

« La reine en venant de la messe, trouvera table mise! »
« La reine en venant de la messe, trouvera table mise! »
« La reine en venant de la messe, trouvera table mise! »

Elle voulut revenir, mais ses gens dirent que c’était des rêves. Au milieu de la messe, la reine s’est levée, sa tête plein de cette prédiction. Elle avait décidé de retourner à Rocasparvière. Les gens, l’église était remplie, étaient scandalisés, tous dirent “La reine a le diable dans la tête, la rine a le diable dans la tête, la reine a le diable dans la tête.”

La reine marche vite pour retrouver son château. Une fois en haut, elle ne remarque plus Dieu, elle avait faim de fatigue et de froid. Ses gens lui donnèrent à manger et elle se servit bien. Elle eut à peine fini son repas que de son château, de tous les côtés, on riait, criait des méchancetés: “Ah, ah, ah, on t’a bien eue cette fois!”

Effrayée, elle partit vite dans sa chambre et y découvrit les deux têtes de ses enfants noyées dans le sang. Seule, elle ne savait pas qu’elle venait de manger la chair de ses enfants. Devenue aussitôt folle, elle quitta vite ce lieu en descendant vers Coaraze, en criant: “Malédiction! Ô Roca, Roquine, un jour viendra que sur tes cimes ne chantera plus ni coq ni poule mais les corbeaux, les épervier et autres oiseaux sauvages”.

Chaque nuit de Noël, il paraît que cette foix, clouée et chargée de mal, s’entend autour de Rocasparvière, aujourd’hui sans âme et en ruines”.